Ce portrait a été réalisé le 12 juin 2015 à l'occasion des "Rencontres de Ségolène" qui sont des dîners de femmes destinés à créer un temps de rencontre et de partage autour d'une personnalité qui livre son parcours de vie dans sa globalité.
Médecin spécialisé en psychiatrie criminelle, Magali Bodon-Bruzel s’emploie à chercher « un sens derrière l’acte insensé » et une part d’humanité derrière les figures les plus effrayantes de nos sociétés ; Celles de la folie meurtrière. Voyage en terre inconnue.
Par Caroline Castets
Un labyrinthe de lignes sombres enchevêtrées. Inextricables. Un titre en lettres rouges, d’une brutalité sans fard. A elle seule, la couverture de ce livre L’homme qui voulait cuire sa mère *- co-écrit avec un ami romancier - résume l’univers professionnel de Magali Bodon-Bruzel et ce qui le caractérise : l’enfermement - carcéral et mental – et la difficulté de s’y frayer un passage. C’est pourtant ce à quoi s’emploie depuis bientôt vingt ans cette femme menue aux yeux rieurs et aux boucles blondes, spécialiste de psychiatrie criminelle, habituée des tribunaux, des expertises légales et des unités pour malades dangereux. Habituée à la folie humaine, à la peur qu’elle génère et à la souffrance qu’elle recèle. Habituée, aussi, à l’incompréhension des autres face à ce choix de carrière.
Pour l’expliquer, elle n’évoque ni cheminement personnel ni prédestination, mais un enchaînement d’éléments extérieurs : une première dose d’incitation parentale qui la pousse vers la médecine, une part de hasard, quelques rencontres et à l’arrivée, une évidence. Elle qui, adolescente, se passionnait de musique renaissance et se rêvait chef d’orchestre ferait du « monde fracassé » de la folie son quotidien.
UN MONDE EXTRAORDINAIRE
Un quotidien dont elle a un premier aperçu lorsqu’en quatrième année d’étude de médecine à Marseille, elle approche pour la première fois un service de psychiatrie. Elle y découvre les psychoses hallucinatoires, les délires paranoïaques, la schizophrénie… Cela aurait du être un choc ; ça sera « un émerveillement ». « La rencontre avec un monde extraordinaire », se souvient-elle. Quelque chose de tellement complexe et saisissant « qu’il se rapproche de la poésie » et d’un monde littéraire qui l’a toujours enthousiasmée. Au point qu’elle y voit l’opportunité de concilier deux passions en s’engageant dans un double cursus: médecine et lettres. Le corps et les mots. Deux univers traditionnellement opposés mais pour Magali, deux modes de perception complémentaires d’un même « mystère merveilleux ». Celui de l’âme humaine et de ses zones d’ombre.
Pour l’approcher au plus près elle multiplie les diplômes – de criminologie d’abord, puis de victimologie et enfin de réparation juridique – et décide de faire de la psychiatrie « en milieu fermé » sa spécialité. La prison des Baumettes, à Marseille, lui offre un premier terrain d’étude à la hauteur de ses attentes : démesuré. Un lieu qui lui permet d’aller « à la rencontre de vraies pathologies, de croiser des figures extrêmes de l’humanité »; Des « sujets transgressifs », dangereux pour eux-mêmes et pour les autres, pour qui elle avoue d’abord une « curiosité fascinée » puis, au fil des ans et des rencontres, une empathie sincère sans laquelle, estime-t-elle, toute tentative de traitement psychiatrique resterait vouée à l’échec.
POUR UN DROIT A LA SOUFFRANCE ET A L'ESPOIR
Après Marseille vient Paris. Elle y frôle la pédopsychiatrie et, rapidement, se dit « je ne peux pas » ; la rencontre avec les enfants autistes s’avérant trop douloureuse. Pourtant, l’histoire la rattrape dix ans plus tard avec la naissance d’Hadrien, cet enfant différent, « magique et fragile », qui parle aux voitures et lui demande de traduire les pleurs des bébés. Cette nouvelle rencontre avec l’autisme – intime cette fois – Magali y voit « non pas une mauvaise blague de la vie mais une chance pour qui sait la comprendre ». Quelque chose qui va la rendre « plus affutée, plus empathique ». Plus proche des malades et de leurs familles ; Plus apte, surtout, à « appareiller la maladie » comme, chez elle, elle apprendra « à appareiller le handicap ».
De sa voix douce, parfois presque basse, elle dit tout cela ce soir de juin. Elle parle de cet univers méconnu de la folie humaine ; lève les tabous, rétablit les vérités et, progressivement, s’anime comme si, dans ce salon de l’avenue d’Iéna, devant ce public de femmes captivées,
elle ne se contentait plus de décrire un parcours professionnel mais défendait une cause.
Celle de la folie meurtrière comme maladie grave ;
Celle du droit à la souffrance et à l’espoir pour ces patients pas comme les autres
, auteurs d’actes terribles dont ils ne sont pas responsables.
Les mots coulent et derrière eux on perçoit, inébranlable, l’acharnement qui la caractérise, elle, l’éternelle optimiste qui reconnaît « ne pas lâcher facilement ». Acharnement à comprendre chaque parcours individuel, à établir un dialogue puis un diagnostique. Acharnement à soigner. A explorer « le paysage chaotique de la psychose » partout où elle la rencontre. De la prison de Poissy à celle de Bois d’Arcy et de l’hôpital psychiatrique de Villejuif à Fresnes où, depuis 2013, elle dirige à la fois le service de psychiatrie régional et une unité hospitalière dédiée à l’accueil des détenus en souffrance psychique.
VOIR LE POSSIBLE, DIRE L'HUMAIN
Partout, Magali applique la même méthode consistant, face à la maladie, à refuser la fatalité et à « voir en priorité le possible » en ciblant des pistes, sinon de guérison, du moins de stabilisation. Première impératif pour y parvenir : dissocier l’homme de l’acte en remplaçant « être » par « avoir » - exemple : « Vous êtes schizophrène » par « Vous avez une schizophrénie » - de manière à évoquer non pas un état permanent, définitif, mais une pathologie susceptible d’être traitée. Puis, réfléchir à la maladie en termes de « fonctionnalités » : identifier ses effets concrets sur le quotidien, les freins directs qu’elle oppose à « une vie normale » afin d’y appliquer des palliatifs. Enfin, accompagner le patient dans un cheminement en quatre étapes impliquant d’abord un recul du déni, de l’acte - « Non, je n’ai pas tué ma mère mais celle qui avait volé son apparence »… – puis de la maladie, suivi d’une acception du traitement et s’achevant, dans le meilleur des cas, par l’apparition d’affects : la honte, le regret, parfois même la culpabilité. Autant d’émotions que l’équipe soignante reçoit comme « une récompense » ; Le signe irréfutable d’une victoire arrachée à la maladie.
Dernière corde à son arc thérapeutique : la parole. Celle du patient qu’elle libère et recueille au cours d’entretiens menés devant l’ensemble du personnel soignant afin d’identifier en équipe « le mécanisme morbide » ayant précédé le passage à l’acte. Jusqu’à permettre au malade de répondre à cette question essentielle : « Pourquoi ?», et à elle-même de comprendre la logique derrière la folie. De « trouver un sens derrière l’acte insensé ». Etape fondamentale, là encore, à toute approche de « ce monde de la psychose, de l’insondable, de l’autre… » Un autre souvent angoissant, parfois menaçant, mais toujours, insiste Magali, « en grande souffrance ».
Une souffrance dont son livre donne à voir certains visages. Ceux de Ludwig, Amélie, Joao ou encore Henri… Des noms d’emprunt pour des cas réels et des pathologies sévères. Avec humanité mais sans angélisme elle évoque ces rencontres bouleversantes et parfois éprouvantes. Les moments lourds « chargés d’une menace latente », les infirmiers postés à proximité, discrets mais en alerte, les stylos retirés de la poche supérieure de la blouse, au cas où…
La peur, quasi-permanente, « ce truc affreux qui colle et donne envie de se laver les mains ».
Et pourtant, comme une constante inattendue dans son discours et ces parcours, l’espoir.
Comme une incitation à faire évoluer les regards sur la maladie mentale ; A dire l’après fait divers porté en une des journaux, la part d’humanité derrière « la figure du monstre », les possibilités de traitement. L’avenir, en somme.
* L’homme qui voulait cuire sa mère par Magali Dondon-Bruzel et Régis Descott, paru aux Editions Stock en février 2015
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